Avec le retour au pouvoir de Shinzō Abe, le Japon s’achemine vers une nouvelle détérioration de ses relations avec la Chine. Dans le même temps, Tokyo tente de redonner vie à son économie.
Le retour des conservateurs au pouvoir traduit la lassitude d’une opinion publique qui espérait beaucoup du retour de la gauche au pouvoir en septembre 2009. Depuis, la stagnation économique et la gestion calamiteuse de la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi ont ramené au pouvoir une droite plus nationaliste que jamais. Élu pour tenter de ranimer l’économie japonaise, Shinzō Abe doit gérer la montée des tensions diplomatiques et militaires dans l’ensemble de l’Extrême-Orient.
À l’occasion d’une conférence de presse, le nouveau Premier ministre japonais a dévoilé sa stratégie économique pour redresser le pays lors de sa mandature. Il a ainsi dévoilé un plan à hauteur de 20 200 milliards de yens (soit 170 milliards d’euros) pour revitaliser une économie traumatisée par des décennies de stagflation. De surcroît, les répercussions économiques et financières des événements du 11 mars 2011 n’ont pas été circonscrites. Longtemps au pouvoir, le Parti libéral-démocrate (PLD) le retrouve par défaut face à l’incapacité du Parti démocrate du Japon (PDJ) de répondre aux attentes de la population. Les divisions internes sur la stratégie à adopter sur le rôle de l’État finissent par lasser un électorat qui lui apporte une réponse cinglante. Le PDJ ne remporte seulement que 57 des 480 sièges de la Chambre des Représentants à l’occasion des élections législatives anticipées du 16 décembre 2012.
De la guerre monétaire…
Pour le gouvernement, cette enveloppe financière doit servir en partie à la reconstruction de Fukushima. Au-delà, celle-ci sera utilisée pour la modernisation des infrastructures routières et scolaires. En outre, le gouvernement entend apporter un soutien financier significatif dans le domaine médical. L’objectif affiché par la nouvelle équipe gouvernementale est d’atteindre une croissance de 2% pour l’année 2013. Un véritable défi alors que le pays a connu une contraction de 3,5% de son PIB à rythme annuel lors du troisième trimestre 2012. Parallèlement, le retour à une croissance moyenne permettrait la création de 600 000 emplois alors que le taux de chômage se situe actuellement à 4,10%. Un chiffre qui masque la précarité dans laquelle les jeunes travailleurs se trouvent avec, souvent, l’absence de couverture sociale.
Cette enveloppe financière que promet Shinzō Abe sera obtenue par la création monétaire. Un nouveau Quantitative Easing (QE) de la Banque du Japon est perçu comme la solution pour stimuler une économie en berne. La conséquence de ce QE est la dépréciation accélérée du yen par rapport au dollar sur le marché des changes. Une situation qui inquiète les principaux partenaires commerciaux du Japon, en premier lieu la Chine. En dévaluant le yen, le gouvernement japonais entend relancer les exportations du pays. La situation de Sony, fleuron des produits de haute-technologie nippons, est symbolique d’un pays qui a du mal à se maintenir à flot. Afin de réduire ses coûts et permettre de nouveaux investissements, le groupe japonais a indiqué souhaiter mettre en vente un de ses bâtiments à Tokyo. Ce building de vingt-cinq étages, situé dans le district d’Osaki, pourrait générer jusqu’à 100 milliards de yens.
Même si une grande partie de la dette du pays est détenue par des investisseurs internes, la dette publique du Japon s’élève à près de 240% du PIB, un record planétaire. La faible dépendance extérieure sur ses créanciers amène le Japon à bénéficier de taux d’intérêt très faible sur le marché des emprunts obligataires. De surcroît, le pays consacre de 25 à 30% de ses recettes fiscales au remboursement de la charge d’intérêt de la dette. Si le taux devait atteindre 2,5 à 3%, la charge en deviendrait rapidement étouffante pour l’État japonais. Jusqu’à présent la situation des finances publiques du pays n’inquiète pas outre-mesure avec la solidité des fondamentaux comme les investissements, la politique R&D ou encore l’importance de l’épargne des ménages. Cependant, la détérioration des liens économiques avec la Chine, partenaire numéro un, menace cet équilibre si les tensions sont amenées à se poursuivre.
… à l’affrontement militaire ?
Depuis l’été 2012, les relations entre la Chine et le Japon ont connu d’importantes houles. La volonté par l’ancien gouverneur de Tokyo, Shintarō Ishihara, de racheter les îles Senkaku (Diaoyu pour la Chine) a ravivé les tensions. Pékin entend réaffirmer sa souveraineté sur ces îlots situés au large des côtes chinoises, et au nord de Taïwan. Parallèlement, Tokyo n’entend pas céder le moindre pouce de terrain face aux velléités chinoises. Depuis, l’escalade militaire entre les deux pays autour des îlots ne connaît aucun répit. La nouvelle équipe dirigeante chinoise dirigée par Xi Jinping ne montre aucun signe de conciliation. Tandis que Shinzō Abe est connu pour ses positions nationalistes, même si le pragmatisme guide ses décisions politiques comme il l’a démontré à l’occasion d’un précédent mandat entre 2006 et 2007.
Revendiqués par Taïwan, les îlots focalisent la tension entre les deux géants asiatiques. Ces derniers mois, les missions de surveillance de part et autre se sont multipliées malgré les tentatives d’endiguer se foyer de crise. En effet, le potentiel d’une crise militaire entre Pékin et Tokyo est bien réel dans le contexte actuel. Par ailleurs, le gouvernement Abe a confirmé que le budget de la défense augmenterait à l’occasion de l’année budgétaire 2013. Tokyo entend allouer une enveloppe supplémentaire de 100 milliards de yens (soit 873 millions d’euros). Il s’agit de la première augmentation depuis onze ans. Ainsi pour l’année 2013, le budget de la défense totalise 4 700 milliards de yens (soit 41 milliards d’euros).
Sur le terrain, la Chine mène une campagne anti-japonaise qui trouve un écho relatif au sein de sa population. La soupape du nationalisme est le moyen classique pour la classe dirigeante chinoise de détourner l’opinion publique des problèmes socio-économiques dans le pays. Les assauts répétés à propos de ces différends territoriaux alimentent la rhétorique et les prises de positions populistes dans chaque camp. L’atmosphère dégradée, la cordialité des relations sino-japonaises est rompue depuis un certain temps. De temps à autre, les envoyés respectifs dans les deux pays sont convoqués par les gouvernements afin d’exprimer le mécontentement des actions de la partie adverse.
Alors que les échanges économiques représentent la meilleure garantie de maintenir une paix froide entre les deux pays, la militarisation de la question de Senkaku/Diaoyu inquiète la communauté internationale, plus particulièrement les États-Unis. Washington a déjà réitéré ses engagements envers Tokyo. En effet, dans l’hypothèse d’une confrontation militaire navale, la Maison-Blanche se tiendra aux côtés du Japon. La multiplication des missions de surveillance amène le gouvernement japonais à emprunter le chemin hasardeux de la surenchère. Effectivement, celui-là réfléchit à l’autorisation d’équiper ses avions de chasse de munitions traçantes pour effectuer des tirs de sommation à l’encontre des avions de surveillance chinois dans la zone contestée. Une telle mesure, si elle devait prendre effet, provoquerait sans aucun doute l’ire de Pékin avec à la clé le risque réel d’une escalade militaire.
Le mal-être japonais
Le fossé qui se creuse entre la Chine et le Japon révèle les problèmes structurels auxquels doit faire face la société nippone. Les conséquences de la crise nucléaire se répercutent de façon souterraine. À la crise énergétique s’ajoute la crise de management des autorités publiques et privées au Japon. La mauvaise gestion de la crise du nucléaire a provoqué la perte de confiance d’une partie de la population. L’absence de transparence dans le processus décisionnel tout au long de cette crise remet en question les élites dirigeantes actuelles. La problématique de la réorganisation de la société japonaise est désormais posée. Ainsi, Tōru Hashimoto, maire d’Osaka, et leader du parti « Association pour la Restauration du Japon », arrivé en troisième position lors des dernières législatives, est favorable à la décentralisation du pays. D’autre part, le pays n’a pas apporté de réponse concrète face au défi démographique. Le vieillissement de la population menace les équilibres au sein de la société japonaise. Près d’un quart de la population a désormais plus de 65 ans, une situation qui se répercute sur les politiques publiques où les besoins en matière de santé sont toujours plus croissants. D’autant plus que le déclin démographique est désormais amorcé. Selon les projections, Le Japon passera sous la barre des 100 millions d’habitants d’ici 2050.
Le croisement de la courbe démographique et des finances publiques menace désormais directement le système de protection sociale du pays. La diminution inéluctable de la population active oblige à évoquer les remèdes possibles : robotisation, féminisation du travail et immigration. Concernant la dernière solution, l’idée, vivement soutenue entre autres par le Fonds Monétaire International, est catégoriquement rejetée par les autorités. Parallèlement, l’OCDE, dans un rapport publié à l’automne 2012, a averti le Japon de l’urgence d’endiguer son endettement public. Cette réduction passe par la mise en place de nouvelles taxes et une réforme facilitant l’immigration sur son territoire. Des propositions que le nouveau gouvernement n’entend pas appliquer dans l’immédiat.
Face à ces perspectives difficiles, la stratégie du repli sur soi exprimée par le dernier scrutin risque d’alimenter la mécanique des nationalismes dans l’ensemble des pays de l’Extrême-Orient. La tentation de voir dans cette partie du monde, la copie conforme de l’Europe à l’aube du XXème siècle est tentante. Cœur de l’économie mondiale, une déstabilisation de cette région aurait d’innombrables conséquences alors que les puissances extérieures, dont l’Europe, n’ont aucune prise réelle sur cette dynamique.
F.V.
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