Le groupe P5+1 (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie + Allemagne) a officiellement repris le fil diplomatique avec l’Iran sur le dossier du nucléaire dans l’ancienne Constantinople.
« Le serpent change de peau, non de nature. »
Proverbe persan
Les officiels iraniens et ceux des grandes puissances mondiales se sont retrouvés en Turquie pour élaborer une nouvelle initiative pour sortir de la crise diplomatique qui entoure le programme nucléaire. Côté iranien, Saeed Jalili, négociateur en chef du dossier nucléaire, est arrivé, vendredi 13 avril, pour rencontrer le ministre des Affaires étrangères turc, Ahmet Davutoglu. Hormis la présence de la représentante pour la politique étrangère de l’UE, Catherine Ashton, les six puissances ont envoyé des délégations de haut-fonctionnaires.
Même avant le commencement du sommet, le représentant iranien avait averti que les discussions « serviront la dignité de la nation iranienne ». Une prise de position indiquant que l’Iran n’a pas l’intention de reculer face aux grandes puissances sur ce qu’elle considère comme des lignes rouges. Alors qu’Israël exige l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium, les grandes puissances semblent en écarter l’idée. La Maison-Blanche apparaît décider de trouver une solution acceptable pour toutes les parties. Comme geste de bonne volonté, les négociateurs iraniens ont indiqué que le Guide Suprême avait émis une fatwa contre l’utilisation de l’arme nucléaire de leur côté.
Tout au long de la journée de samedi, les négociateurs des deux parties ont salué les promesses des discussions. Des sources diplomatiques, impliquées dans les négociations, ont affirmé que des progrès encourageants ont été constatés durant cette journée. L’atmosphère positive, saluée, tranche avec les précédentes rencontres où les tensions étaient perceptibles. En revanche, ces mêmes sources tempèrent l’optimisme, les négociations restent au stade de la phase de reprise. De nombreuses questions en suspens n’ont pas évidemment été résolues. Ce renouveau diplomatique n’est pas encore assez mûr pour pouvoir affirmer ou infirmer la conclusion d’un accord diplomatique.
Effectivement, les Iraniens ont d’ores et déjà annoncé que tout progrès dans les discussions serait conditionné par l’allègement des sanctions économiques et financières imposées par l’ONU, mais également par les puissances occidentales. Tout au long des discussions, les Iraniens semblait favorable à négocier la question de la suspension de l’enrichissement de l’uranium. Cette étape est décisive dans la réalisation ou non d’un programme nucléaire de nature militaire. L’Iran rappelle par ailleurs son engagement à respecter le Traité de Non-prolifération Nucléaire et à utiliser l’énergie nucléaire de façon pacifique. Cet engagement et ce respect constituent le cœur du conflit qui oppose l’Occident à l’Iran. Les puissances occidentales soupçonnent Téhéran de vouloir se doter d’un arsenal nucléaire qui menacerait les équilibres régionaux. Du côté de Tel Aviv, on perçoit cette menace comme existentielle.
Ainsi, le curseur des négociations se situent quasi-exclusivement sur la question de l’enrichissement. Aujourd’hui, celui-ci est effectué à hauteur de 20% et représente un seuil critique dans une éventuelle militarisation du programme nucléaire. Durant ces premières discussions les négociateurs iraniens ont émis l’hypothèse de réduire le niveau d’enrichissement à 3,5%, et exfiltrerait cet uranium enrichi vers la Russie et la France. Les deux pays seraient chargés de le transformer en combustible. En outre, si l’Iran décide d’un enrichissement supérieur à 20%, celui-ci s’effectuerait sous la surveillance et le contrôle étroit de l’AIEA.
Le grand bazar à Bagdad ?
Cependant, les Iraniens ont refusé une rencontre bilatérale et directe avec l’envoyé étasunien contrairement avec la représentante de l’UE. Ce refus peut s’expliquer par le faible niveau de représentativité de la délégation étasunienne mais aussi par une posture diplomatique en refusant de serrer la main du « Grand Satan ». Mais « l’atmosphère positive » d’Istanbul pourrait tourner à l’orage à l’occasion des prochaines rencontres diplomatiques. Le 23 mai 2012, le rendez-vous est déjà fixé à Bagdad. Pour l’Iran, la capitale irakienne est perçue comme un cadre beaucoup plus chaleureux contrairement à cette première rencontre sur les rivages du Bosphore.
Les tensions entre Téhéran et Ankara ont secoué l’organisation de cette première rencontre. En effet, l’Iran avait menacé de ne pas participer à cette rencontre si elle avait lieu à Istanbul. Les responsables ont ainsi proposé des solutions alternatives avec Bagdad ou encore le Kazakhstan. Cette prise de décision a irrité le gouvernement turc accusant Téhéran d’avoir une attitude irresponsable. En obtenant, le second round des négociations à Bagdad, les Iraniens veulent apparaître en terrain conquis. Le bras de fer diplomatique entre l’Iran et l’Occident ne fait que (re)commencer alors que la patience israélienne est mis à l’épreuve. Le spectre d’une frappe sur les installations nucléaires iraniennes s’éloigne toujours un peu plus. Barack Obama mettra tout en œuvre pour empêcher une telle éventualité à quelques mois de l’élection présidentielle aux États-Unis. Paradoxalement, les Iraniens pourraient jouer la même carte, en effectuant des concessions clés aux yeux de la communauté internationale. Dans une telle perspective, l’Iran bénéficiera probablement de l’appui des BRICS. Mais, comme dans tout bazar qui se respecte, Téhéran pourrait progressivement ajouter de nouvelles conditions (comme l’absence d’armes nucléaires au Moyen-Orient impliquant de facto Israël) avant d’aboutir à tout accord final.
F.V.
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