Le lancement de la fusée, Unha-3, devait être le point d’orgue des célébrations autour du centenaire de la naissance de Kim Il-sung, fondateur de la République populaire démocratique de Corée et grand-père de Kim Jong-un.
Toute la communauté internationale s’était préparée au lancement de cette fusée perçue comme un test balistique déguisé. Le Japon et la Corée du Sud avaient averti d’une éventuelle riposte contre l’engin s’il menaçait leur espace aérien respectif. Le régime nord-coréen avait largement préparé ce moment en invitant les journalistes étrangers sur les lieux. Moment d’ouverture du régime ou nouvel acte de propagande ? Le décollage de la fusée, puis son explosion en plein vol au bout de 90 secondes, a amené son lot de réactions mais aussi d’interrogation. Plus que jamais, la stratégie de Pyongyang sous le leadership du jeun Kim Jong-un demeure imperceptible. Mais les conséquences du gros ratage du 13 avril 2012 devraient rapidement en indiquer la direction.
Fusée ou missile ?
Le régime nord-coréen avait averti le monde qu’elle procéderait au lancement de sa fusée entre le 12 et le 16 avril 2012. Ce lancement s’inscrivait dans le cadre des célébrations autour du centenaire de la naissance de Kim Il-sung, fondateur de la République populaire démocratique de Corée, le 15 août 1945, au lendemain de la capitulation du Japon.
Selon les responsables sud-coréens, le lancement de la fusée de trois étages a eu lieu ce vendredi 13 avril à 7 heures 39, heure locale. Les autorités nord-coréennes avait annoncé que l’objectif de ce lancement était de mettre en orbite un satellite de communications. Malgré ces annonces officielles provenant de Pyongyang, les États-Unis et ses alliés, la Corée du Sud et le Japon, n’ont pas accordé de réel crédit à cette annonce. En effet, ces derniers soupçonnaient le royaume Ermite de mettre en œuvre un essai balistique en vue d’améliorer les capacités militaires du pays dans ce domaine.
Depuis 1998, la Corée du Nord a procédé à plusieurs tirs balistiques en vue de rendre plus performants les missiles à longue portée. Le 5 juillet 2006, Pyongyang avait procédé au tir du missile balistique Taepodong-2, dont la portée varie entre 4.000 et 6.000 km selon les estimations des différents experts en balistique. Moins de 40 secondes après le tir, le missile explose en vol. Le 5 avril 2009, Pyongyang indique procéder au lancement d’une fusée afin de mettre en orbite, là aussi, « un satellite de communications ». Dans le même cas, les analystes ont estimé qu’il s’agissait en réalité d’un tir balistique. Les résultats de ce test démontrent que cet essai avait une visée avant tout militaire. Le missile aurait effectué un trajet d’au moins 3.200 km avant que le dernier étage tombe au milieu de l’océan Pacifique.
Vendredi, ce nouveau lancement devait être un succès pour montrer au monde que la patrie socialiste demeure toujours aussi solide. Il constituait également le premier test pour son nouveau dirigeant Kim Jong-un. Cet échec, qui n’est donc pas le premier, est plus conséquent sur le plan de la symbolique. En plein milieu des festivités en l’honneur de la mémoire de son grand-père, Kim Jong-un doit essuyer un échec militaire dans sa négociation avec les parties adverses. Cette donnée risque de modifier la stratégie interne au régime nord-coréen. Imprévisible sous Kim Jong-il, Pyongyang semblait donner des signes d’ouverture ces dernières semaines. L’arrivée de Kim Jong-un laissait entrevoir une fenêtre d’opportunité pour un rapprochement entre les deux Corées mais également entre Pyongyang et Washington.
Effectivement, les roulements de tambour autour de ce lancement indiquent un possible assouplissement du nouveau leader et de son entourage. Le régime s’est livré à un réel exercice de communication auprès des médias internationaux. Suite au lancement de la fusée, les chaînes sud-coréennes ont interrompu leurs programmes traditionnels pour suivre les derniers développements ainsi que les premières réactions diplomatiques. Au même moment, la télévision publique nord-coréenne diffusait ses programmes habituels sans faire publicité de cet échec. Cependant, dans la journée, les médias officiels nord-coréens ont annoncé l’échec de la tentative de lancement de la fusée. Ils n’ont pas indiqué la nature du problème qui a provoqué l’échec du tir. Selon Peter Crail, expert pour l’Arms Control Association, l’échec pourrait s’expliquer par un dysfonctionnement qui « se situe au niveau de la séparation et de l’allumage du deuxième étage » du missile.
Inquiétant les pays voisins, ce tir a également suscité le vif intérêt des autorités israéliennes. En effet, Tel Aviv soupçonne l’Iran de coopérer étroitement avec la Corée du Nord tant dans le domaine de la balistique que du nucléaire. Or, cet échec doit soulager Israël sur la réalité des avancées de Pyongyang sur son programme de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM). En effet, les échecs successifs prouvent que le pays est loin de posséder la technologie nécessaire pour être crédible dans sa capacité de nuisance. Un test réussi, même unique, pèserait lourdement dans la balance dans les négociations entre la Corée du Nord et les États-Unis. Mais comme le précise Hans Kristensen, membre de la Fédération des scientifiques américains (FAS), pour que Pyongyang puisse délivrer une charge nucléaire par ICBM, « cela prendra beaucoup de temps ».
Le « Grand Héritier » à la tête des armées
Lors des premières cérémonies officielles ces derniers jours, Kim Jong-un est apparu publiquement. Au même moment des décisions ont validé des changements politiques. En effet, le « Grand Héritier » vient d’être nommé, ce vendredi 13 avril, président de la Commission de la défense nationale. Ainsi, Kim Jong-un est en charge des forces armées du pays et renforce de facto son pouvoir. Lors d’une cérémonie, ce jour-même, il est apparu plus proche des hauts gradés militaires du pays. Sur sa droite, se tenant un peu plus à l’écart, l’appareil politique, dont sa tante Kim Kyong-hui, est apparu un peu plus en retrait par rapport au « Grand Héritier ». Concomitant avec l’échec du tir du missile de type Taepodong-2, cette nomination achève le processus de transition politique. En prenant le contrôle de l’armée populaire, Kim Jong-un s’apprête à voler de ses propres ailes. La tutelle politique familiale n’apparaît plus être à l’ordre du jour.
Et dès à présent, il doit affronter sa première crise diplomatique avec la communauté internationale. En dépit de l’échec du tir, les États-Unis ont d’ores et déjà riposté en suspendant son aide alimentaire. Le Conseil de Sécurité des Nations unies n’a pas tardé également à répliquer. Susan Rice, ambassadrice étasuniennes aux Nations unies, a vivement réagi en précisant que « les membres du Conseil de Sécurité ont déploré ce tir, lequel est en violation des résolutions du Conseil de Sécurité ». Washington menace de mettre en place de nouvelles sanctions à l’encontre d’un régime considéré comme irresponsable. Dans le même temps, la Russie appelle à ne pas ajouter de nouvelles sanctions. Comme pour l’Iran, la Russie assure qu’une telle stratégie ne peut que conforter une politique de confrontation entre les différentes parties. Du côté chinois, Pékin s’était inquiété de la réalisation de ce tir de missile. Suite au tir, les responsables chinois n’ont pas condamné l’acte nord-coréen, ne rompant pas avec sa position traditionnelle envers son allié incontrôlable.
La balle est désormais dans le camp nord-coréen. Pour Kim Jong-un, les prochaines semaines impliqueront des prises de position après d’importantes hésitations pendant la période de transition. Alors que Pyongyang s’était déclaré prêt à interrompre son programme nucléaire, des experts soupçonnent le régime nord-coréen de préparer un nouvel essai nucléaire pour le mois de mai. Mais après l’embarras ratage de la fusée, un échec de l’essai nucléaire pourrait affaiblir sa position. La dynamique interne est un paramètre important, Kim Jong-un doit désormais imposer son autorité auprès de la vieille garde militaire, et notamment les plus faucons du régime. Or, le renforcement des sanctions pourrait raidir le positionnement diplomatique du « Grand Héritier » repoussant à de nouvelles calendes grecques la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Pour Barack Obama, ces développements posent un sérieux défi à sa politique étrangère. Par ricochet, un éventuel raidissement de Pyongyang met à mal la stratégie de la Maison-Blanche sur la question du nucléaire iranien. En effet, le modèle d’une péninsule coréenne pacifiée et dénucléarisée doit constituer un des arguments chocs pour apaiser les tensions au Moyen-Orient, notamment entre la République islamique d’Iran, d’un côté, et Israël et les monarchies du Golfe, de l’autre. En l’absence de toute avancée avec Pyongyang, Washington s’apprête à rejoindre le front iranien avec des cartouches en moins…
F.V.
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