Le départ de l’ancien président Ali Abdullah Saleh n’a pas réglé le chaos politique qui secoue une « Arabie heureuse » devenue maudite.
Il est le pays où sa révolution a été sur les marges, loin des feux médiatiques de l’Égypte ou de la Syrie, le Yémen est d’un des piliers pour la stabilité de l’ensemble de la péninsule arabique. L’abdication d’Ali Abdullah Saleh n’a pas entamé la détermination des différents acteurs présents sur le territoire à faire part de leur revendication politique, économique ou sociale. Mais le danger d’un morcellement du territoire guette le pays. La Somalie fera-t-elle des émules de l’autre côté du Golfe d’Aden ?
Le Yémen, anomalie de la péninsule arabique, poursuit sa transition politique après un règne autocratique de 33 ans d’Ali Abdullah Saleh. La réunification du Yémen du Sud et du Yémen du Nord en 1990 a été la dernière grande étape dans l’évolution historique de ce pays. Voisin de l’Arabie Saoudite, le Yémen est le parent pauvre de la péninsule arabique sans posséder de ressources naturelles très importantes. Dans ce contexte, sa population a rapidement répondu aux échos du « Printemps arabe » pour revendiquer leurs droits. Tout au long de l’année 2011, les manifestations se sont succédées dans la capitale Sana’a et en province. En novembre 2011, l’abdication d’Ali A. Saleh est perçue comme une première étape. Cependant de nombreuses incertitudes entourent le nouveau Yémen en gestation.
Pour succéder au président déchu, des élections présidentielles ont été organisées dans un contexte de violence et d’insécurité. La candidature unique, en l’occurrence celle du Vice-président Abdu Rabu Masour Hadi, a sapé les espoirs d’un basculement définitif de l’ancien régime. Malgré la faible participation à ces élections présidentielles du mois de février 2012, les différents acteurs de la révolte entendent peser sur la rédaction de la future Constitution. À ces fins, le nouveau président élu a la lourde de tâche de maintenir le calme et la stabilité dans un pays où l’art du compromis est la règle.
La mosaïque yéménite
La complexité de la société yéménite démarre avec la distinction entre le nord et le sud du pays. Les deux dernières décennies n’ont pas permis l’édification d’un État de droit complet. La révolution de l’année 2011 a rouvert les blessures de la division où les mouvements sudiste et nordiste. Longtemps, la communauté internationale a craint l’éclatement d’une guerre civile. Finalement, l’ensemble des protagonistes n’a pas franchi le Rubicon de l’affrontement ouvert. Si des escarmouches et des attentats ont égrainé l’actualité yéménite ces douze derniers mois.
Après un an de révolution, le Yémen vit sa transition. Si Ali A. Saleh a obtenu l’exil et l’immunité, sous le patronage de Washington, son fils Ahmed demeure toujours chef de la Garde Républicaine. L’actuelle transition porte ainsi tout son sens, l’ancien régime conserve d’importants leviers d’influence. Le président Hadi s’inscrit dans une certaine continuité politique. Une continuité vertement exigée par Washington mais aussi les États du Golfe qui s’inquiètent de la création d’un vide sécuritaire dans une région cruciale pour la stabilité du trafic maritime mondial.
Situé au sud de la péninsule arabique, le Yémen fait face à la Corne d’Afrique, toujours instable. L’éventuel basculement du Yémen dans un chaos politique créerait les conditions pour une déstabilisation du commerce international. Or si le pouvoir actuel maintien ce fragile équilibre, de nombreuses incertitudes règnent. Du côté nord, les rebelles Houthi, majoritairement chiites et présents dans les gouvernorats de Sa’adah et de Hajjah, terrifient son voisin saoudien. Alors que du côté du sud, le mouvement sudiste continue de faire parler les armes. Pays composé de tribus, le Yémen doit faire face à la présence d’Al Qaïda dans le centre perturbe grandement la stabilisation politique.
L’ombre irano-saoudienne
Loin de suffire, les intérêts de pays étrangers sont présents au Yémen. Des éléments qui renforcent le fragile équilibre entre les différentes tribus. Des tribus qui sont armés et qui jouent leurs propres cartes en regard de leurs intérêts. Adepte du compromis permanent, les tribus adaptent leur allégeance selon les conditions à la fois politique et économique. Depuis 2001, les États-Unis ont largement investi le Yémen dans sa lutte contre le terrorisme. L’attentat en 2000 contre l’USS Cole dans le port d’Aden a été un nouvel avertissement sans frais de la présence terroriste dans la région.
Mais à côté de Washington, Téhéran semble s’être invité dans le pays afin d’élargir ses alliances. Récemment, l’ambassadeur étasunien, Gerald Feierstein, en poste à Sana’a a averti que « les Iraniens ont l’intention de déstabiliser la situation et d’entraver la transition politique au Yémen ». Cette présence est considérée comme une menace directe à la sécurité des États du Golfe, en premier lieu l’Arabie Saoudite. Après le Liban, le Bahreïn et la Syrie, le Yémen est l’énième front qui oppose l’Arabie sunnite et l’Iran chiite.
Les Iraniens avec le soutien du Hezbollah armeraient et financeraient les rebelles Houthi. Cette configuration obéit à une certaine logique puisque l’Iran tend à soutenir ses coreligionnaires en priorité. Par ailleurs, elle constitue une réponse directe aux Saoudiens et Qataris qui arment l’opposition sunnite syrienne. Enfin, en prenant pied au Yémen, l’Iran s’offre une nouvelle carte à abattre si l’Occident devait bombarder ses installations nucléaires.
Pris dans ce tourbillon géopolitique, le Yémen, habitué du compromis, fait face à un immense défi : conserver son unité malgré les pressions accrues d’acteurs extérieurs. De surcroît, grand absent du « Printemps arabe », le programme économique pose question pour l’avenir du Yémen. Le pays, lourdement endetté et sous-développé, demeure fortement dépendant de l’aide internationale alors que son industrie pétrolière n’a pas les capacités de répondre à ses besoins. Tandis que le Yémen n’est toujours pas membre de l’OMC, les autorités publiques sont dans l’incapacité de résoudre ses problèmes structurels. Face au doublement prévu de sa population d’ici 2035 (les dernières projections prévoient 61 millions de personnes), l’accès à l’eau douce est l’un des plus grands défis, sa capitale, elle, est menacée de pénurie dès 2015.
F.V.
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