Les premiers résultats des élections législatives iraniennes du 2 mars 2012 annoncent la défaite cinglante des partisans de Mahmoud Ahmadi-Nejad. Le Guide Suprême passe en première ligne.
Dans un contexte international tendu, l’Iran a voulu envoyer un signal fort en direction de l’Occident. Le nouveau Majlis, le parlement iranien, fera bloc autour de l’ayatollah Ali Khamenei délaissant le président Mahmoud Ahmadi-Nejad. Une nouvelle séquence politique s’ouvre sur la scène intérieure. Concernant le programme iranien, aucun changement n’est à attendre dans les prochaines semaines. Le programme nucléaire iranien est non-négociable.
Près des 75% des nouveaux élus sont considérés comme des proches du Guide Suprême. Plusieurs mouvances se sont organisées autour du grand ayatollah. Des 222 sièges sur 290 qui sont déjà attribués au camp conservateur. Dominé largement par les conservateurs, les réformateurs sont les principales victimes de ces élections législatives. Suite à la répression de juin 2009, les leaders réformateurs Mir Hossein Mousavi et Mehdi Karoubi, sont toujours sous résidence surveillée. Des 60 sièges lors de la précédente législature, il n’en reste que 19 désormais.
La représentation du courant réformateur dans le Majlis en est réduite à sa plus simple expression. Des élections qui confirment la mainmise du régime aux dépens de toute ouverture politique. Or la participation de Mohammad Khatami, ancien président réformateur, aux élections législatives est perçue comme une trahison par le camp du mouvement vert. Une volte-face qui exprime la complexité des rouages politique iraniens.
La défaite de Mahmoud Ahmadi-Nejad
Parmi les deux camps qui se sont opposés, le « Front Uni » dirigé par Ali Larijani, président sortant du Parlement, obtient 43 sièges alors que les proches d’Ahmadi-Nejad n’ont réussi à obtenir que 10 sièges. La sœur du président iranien, Parvin Ahmadi-Nejad a même été défaite. Ensuite, de nombreux élus sont étiquetés « indépendants » ; ainsi, un grand marchandage se prépare pour négocier le ralliement dans tel ou tel camp. Mais nul doute, que ces élections actent la défaite de Mahmoud Ahmadi-Nejad face au Guide Suprême. La séquence électorale signe la fin du règne du président iranien.
Élu en 2005, Mahmoud Ahmadi-Nejad a été réélu aux forceps, avec une importante répression, en 2009. Désormais, il doit gouverner le pays face à un parlement hostile jusqu’au printemps 2013. Déjà, l’actuel parlement s’est montré vivement hostile vis-à-vis face à la gestion économique du pays. Cette opposition s’est poursuivie dès ce lundi, au lendemain de la publication des résultats des élections législatives. Avec l’affaiblissement du camp présidentiel, les députés continuent à mettre en accusation le gouvernement actuel. Ainsi, les députés sortants ont accusé l’actuel gouvernement de ne pas avoir remis au Trésor public près de trois milliards d’euros. Ceux-ci proviennent directement des revenus du pétrole ; or, ces députés exigent de savoir où est passé cet argent.
Avec la saisine de la justice, cette accusation semble renforcer l’idée d’une fin de présidence extrêmement difficile pour Mahmoud Ahmadi-Nejad et ses proches. Ce type d’allégation par les membres du parlement n’est pas inédit puisque de précédents cas d’infraction financière touchant le gouvernement ont été portés devant la justice. Jusqu’à ce jour, ces affaires sont restées sans suite. Quel sera l’ampleur de l’opposition avec cette nouvelle législature ? Des menaces d’une procédure de destitution ont surgi ces derniers mois, à l’encontre du président iranien. Cependant, à l’heure actuelle, face à l’opposition contre l’Occident sur la question du nucléaire, il est peu probable que le régime iranien veuille se payer le luxe d’une crise institutionnelle.
Le Guide Suprême monte en première ligne
Pendant longtemps perçu comme un leader pragmatique au sein des institutions iraniennes, l’ayatollah Ali Khamenei se situe au sommet de la pyramide décisionnelle du pays. Ainsi, depuis 1989, le Guide Suprême veille à la bonne gestion des relations inter-institutionnelles et évite les conflits ouverts au sein de l’élite politique. Une telle stratégie a connu ses dysfonctionnements à partir du second mandat de Mahmoud Ahmadi-Nejad, en 2009. En effet, le président iranien et ses proches sont soupçonnés de vouloir changer le système institutionnel du pays, en privilégiant une approche plus laïque et nationaliste. Pour le clergé iranien, un tel développement sape les fondements même de la République islamique.
Les ultraconservateurs ont commencé à montrer leur opposition résolue contre les développements idéologiques du président iranien. Après la crise du printemps 2011 (voir « Théâtre d’ombres à Téhéran »), les proches d’Ahmadi-Nejad ont été progressivement marginalisés au sein de l’appareil politique du pays. Malgré ces affrontements internes au sein du camp conservateur, l’ensemble de dirigeants affirment leur détermination pour poursuivre le programme nucléaire, jugé comme irréversible. Même si on soupçonne Mahmoud Ahmadi-Nejad de tenter un rapprochement avec l’Occident, le résultat de ces législatives condamne toute tentative d’ouverture de sa part. En effet, le dernier mot revenant au Guide Suprême, il est désormais illusoire pour le camp d’Ahmadi-Nejad de pouvoir renverser un rapport de force largement défavorable.
De surcroît, cette élection marque un relatif renforcement du régime actuel. En effet, près de 64% des électeurs iraniens se sont déplacés, vendredi 2 mars 2012, pour l’élection des députés. Un mouvement qui doit être comparé aux précédentes législatives de 2008 qui n’avaient réunies que 55,4% des Iraniens. Ce « vote massif » de 30 millions d’Iraniens se veut comme un message envoyer directement vers Israël et les pays occidentaux. Malgré l’absence de l’opposition réformatrice, cette participation indique que l’ayatollah Khamenei conserve une certaine légitimité. Mais le prix de cette légitimité l’amène à monter en première ligne. En effet, si l’opposition iranienne ne remet pas en cause de l’existence même de la République islamique, cette montée en première ligne pourrait exposer plus significativement l’autorité du Guide Suprême.
Ali Larijani, futur président ?
Les négociations sur le nucléaire entrent dans une phase décisive puisque un sommet entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne doit se tenir sous les auspices de la Turquie. Alors que le gouvernement israélien maintient sa pression pour une intervention militaire, les États-Unis veulent accorder encore du temps à la diplomatie. Barack Obama ne souhaite pas intervenir militairement en Iran, et tend une nouvelle fois sa main vers les dirigeants iraniens. Or, l’impossibilité d’altérer la volonté israélienne de stopper le programme nucléaire iranien, laisse planer quelques inquiétudes concernant les actions israéliennes dans les prochains mois.
Le temps de la diplomatie qu’accorde l’Occident est directement entré en concurrence avec l’agenda militaire que pourrait déclencher le Premier ministre Benyamin Netanyahu. Dans ce contexte, l’Iran entend conserver la main dans le calendrier pour éviter les mauvaises surprises. La question du nucléaire conserve un large consensus au sein de l’establishment iranien. Pour de nouveau changer le jeu diplomatique, le Guide Suprême pourrait abattre une nouvelle carte, en la personne d’Ali Larijani.
Issu d’une grande famille, le clan Larijani étant largement présent au sein des institutions publiques du pays, le président du Parlement sortant est un prétendant déclaré pour les élections présidentielles de 2013. Son expérience comme négociateur du dossier nucléaire avec les grandes puissances constitue un atout incontournable. Proche des Gardiens de la Révolution, il est devenu incontournable dans la galaxie conservatrice au sein de la République islamique. Quant à Mahmoud Ahmadi-Nejad, s’il termine sa course comme président, rien n’indique que celui-ci sortira définitivement de la scène politique iranienne. Dans l’optique d’une éventuelle offensive contre ses installations nucléaires, la donne en serait incontestablement chamboulée, à moins que les dirigeants ne l’aient déjà intégrés dans leur logiciel.
F.V.
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