Un groupe d’étudiants de l’université de Georgetown (Washington) a mené une étude de trois années sur l’arsenal nucléaire chinois. Premières révélations.
« Creusez de profonds tunnels, stockez des céréales partout, ne cherchez jamais l’hégémonie. »
Mao
Des étudiants se sont obstinés à étudier avec minutie la réalité de l’arsenal nucléaire de la République Populaire de Chine. Pendant trois ans, avec le soutien de leur professeur, Pillip A. Karber, un ancien membre du Pentagone, ces étudiants ont épluché l’ensemble des sources ouvertes afin de découvrir la réalité du nucléaire militaire chinois. Avec plusieurs centaines de gigabits de base de données analysées, ce groupe a traduit des centaines de documents, étudié des images satellitaires. Le résultat est édifiant.
La Chine ne compterait plus 400 têtes nucléaires mais jusqu’à 3 500 ; une révolution dans les équilibres des puissances nucléaires. Par le biais des études des infrastructures chinoises, notamment la construction d’un réseau sophistiqué de tunnels, ces étudiants en ont conclu à l’état réel de l’armement nucléaire de la seconde puissance économique. Avec l’utilisation de Google Earth, la traduction de documentaires télévisés chinois, la veille des blogs et sites militaires, ils ont réalisé une étude approfondie de 363 pages avec cette conclusion provocatrice. La Chine a volontairement sous-estimé la quantité de ses têtes nucléaires.
Le plus surprenant dans ces recherches fut la découverte des milliers de kilomètres de tunnels creusés. Une immense infrastructure qui a été réalisée par le corps de la Seconde Artillerie, une branche secrète de l’armée chinoise. Ce corps spécial est chargé de protéger et déployer les missiles balistiques ainsi que les têtes nucléaires. Pas encore publiée, cette étude a déjà commencé à circuler dans les couloirs de Washington, tant au Congrès qu’au sein du Pentagone.
La réalité militaire chinoise : une révolution copernicienne ?
Malgré une méthode d’analyse peu orthodoxe, les pistes offertes par ces jeunes étudiants pourraient révolutionner la perception étasunienne sur l’ampleur de la capacité nucléaire chinoise. Par ailleurs, les spécialistes qui prônent la non-prolifération nucléaire s’inquiètent de ce travail. Il pourrait conduire au maintien des capacités nucléaires actuelles des grandes puissances comme les États-Unis et la Russie. Une confirmation de telles assertions ouvrirait le risque d’une régression des progrès effectués dans la politique de réduction des armements entamée dans les années 1980, en pleine Guerre froide.
La multiplication des sources et les croisements effectués ont permis à ces experts en herbe de mettre une hypothèse forte sur l’importance stratégique des tunnels en Chine. L’utilisation de vidéos, d’images satellitaires et de photos a procuré, au final, une cartographie du placement des tunnels et de l’armement en question. Par ailleurs, des informations classées ont commencé à être exposées auprès de l’opinion publique chinoise. Ce revirement dans la stratégie de Pékin s’explique par la volonté de ses dirigeants de renforcer l’assurance du peuple dans la puissance de leur pays. Mais ces informations ont grandement aidé dans l’élaboration de cette étude.
Ce projet a mobilisé ces jeunes étudiants pendant trois ans sans relâche. Au-delà, d’un simple passe-temps en dehors des heures de cours, ils se sont dévoués avec passion pour le mener à bien. Au lieu de passer une soirée au cinéma en compagnie de leurs amis, ils préférèrent passer une soirée à revoir les vidéos de la télévision chinoise montrant le déplacement de missile d’un tunnel à un autre. Nick Yarosh, étudiant en Relations Internationales, et collaborateur du projet, reconnaît son sacrifice : « Je ne veux pas savoir combien d’heures j’ai consacré à cela ». Consacrant leur temps libre pour accomplir la mission qu’ils s’étaient données pour objectif, le résultat final pourrait ouvrir la voie d’une restructuration de la vision stratégique de la puissance militaire chinoise tant par les politiques que les militaires à Washington.
La Grande Muraille Souterraine
Pour les experts du nucléaire chinois, la présence de ces tunnels n’était pas inconnue. Cependant, cette information n’a jamais été portée au grand public. Ce travail est l’œuvre du corps de la Seconde Artillerie qui est en charge du déplacement des missiles et des têtes nucléaires. Un docu-fiction chinois traite de la vie des soldats de cette unité de l’armée chinoise. Sous le contrôle direct de la Commission militaire chinoise (CMC), la Seconde Artillerie est chargée de contrer toute attaque nucléaire mais également de riposter dans une seconde phase. Ainsi, si la Chine se trouve menacer d’une frappe nucléaire, cette force entre en phase d’alerte. Ses hommes mobilisés se tiennent prêts pour une contre-attaque nucléaire. Cette unité a également la charge de lancer les missiles balistiques qui transportent une charge conventionnelle.
Véritable unité d’élite, la Seconde Artillerie a été au cœur de la construction de ce réseau de tunnels. Cet ambitieux et tentaculaire projet a débuté dès 1966. Durant la première phase (1966-1979) de la constitution de son réseau souterrain, le pouvoir y a consacré un tiers du capital d’investissement national. Cette politique a été engagée par la crainte des autorités d’une frappe nucléaire de l’URSS. Des tunnels dont l’enfouissement varient entre 8 et 18 mètres sous terre. La dernière phase du programme s’est étendue entre 1999 et 2009 ; celle-ci a finalisé la constitution du réseau. Avec un réseau souterrain qui représente la distance entre Boston et San Francisco, la Chine a minutieusement préparé sa capacité de réaction en cas d’offensive nucléaire à son encontre. Le niveau de complexité de cette nouvelle « grande muraille », ici souterraine, indique la volonté de Pékin de maintenir la continuité de son pouvoir au-delà d’une éventuelle apocalypse nucléaire.
Si les autorités militaires ont officialisé l’existence de ces tunnels, en décembre 2009, cette information n’a pas suscité la curiosité en dehors de l’Asie orientale. Ce faible intérêt au sein des médias occidentaux n’a pas provoqué de débats au sein des élites politiques sur la conduite à tenir à l’égard de l’ampleur du programme. Aujourd’hui, la Chine a une position unique dans le paysage de l’armement nucléaire. Si elle se confirmait, l’étude jouerait le rôle de catalyseur dans l’exposition de la puissance de l’empire du Milieu. Un empire qui abrite encore de nombreux secrets…
F.V.
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