Le dossier iranien est brutalement revenu au cœur de l’actualité internationale. Au menu : un complot anti-saoudien et une bombe nucléaire.
Ces derniers mois, la question iranienne avait été laissée de côté par la diplomatie publique. Depuis le début de l’année : celle-ci a eu un programme très dense : « printemps arabe » ; guerre en Libye ; séisme et tsunami au Japon où s’est ajouté la catastrophe nucléaire de Fukushima ; crise de la zone euro ; l’adhésion de la Palestine à l’ONU… Mais en quelques jours, l’Iran a refait surface. Tel le serpent de mer des relations internationales, le régime iranien parvient à focaliser l’attention de la vie diplomatique ; et avec elle, les risques d’un dérapage.
Sujet récurrent ces dernières années, le premier article du journal en ligne sur la question remonte à quatre années (« Le compte à rebours iranien » daté du 19 octobre 2007). Depuis, les tensions oscillent entre un relâchement de la communauté internationale et un excès de fièvre mais sans jamais franchir l’ultime Rubicon qui plongerait la région, et le monde, dans l’inconnue. Depuis le 11 septembre 2001, l’environnement géopolitique s’est profondément modifié aux frontières iraniennes. La double intervention des États-Unis, avec ses alliés, en Afghanistan et en Irak, a réellement interrogé les autorités iraniennes sur la stratégie à adopter. Les forces occidentales ont stationné à ses frontières occidentales et orientales depuis près de dix ans.
Si l’Iran a montré des signes de coopération au début de l’intervention de l’OTAN en Afghanistan, l’offensive contre le régime de Saddam Hussein, en mars 2003, a changé la physionomie du régime iranien. La défaite des réformateurs, longtemps dirigé par Mohammed Khatami, en 2005, est une des conséquences de ce virage pris par le Guide suprême. Le clergé iranien a interprété l’occupation américaine de l’Irak comme une menace pour l’intégrité de la République islamique. Dès l’année 2004, la question du programme nucléaire iranien prend de l’ampleur dans les différentes chancelleries. Dick Cheney, alors vice-président des États-Unis, est sans ambiguïté sur la menace iranienne. Dès 2009, il révèle qu’il était « le plus grand avocat pour une action militaire parmi ses collègues ». Mais le Pentagone s’est longtemps à ses velléités bellicistes en raison d’une situation géopolitique trop instable.
De l’espoir déçu de 2009 aux révolutions arabes
La victoire de Barack Obama était empruntée d’une nouvelle espérance, celle de « la main tendue » du nouveau président démocrate. Mais les rodomontades incessantes de Mahmoud Ahmadi-Nejad ont rapidement fait disparaître cette éphémère illusion. La Maison-Blanche attendait les élections présidentielles iraniennes de juin 2009 avec l’espoir d’un soulèvement populaire et démocratique. La réélection contestée de Mahmoud Ahmadi-Nejad a suscité l’indignation de la communauté internationale. Rapidement, un mouvement contestataire prend de l’ampleur, la révolution verte était en marche. Celle-ci emmenée par le candidat vaincu, Mir-Hossein Mousavi, est brutalement réprimée. La révolution est mort-née, étouffée dans l’œuf. Elle représente une victoire pour les conservateurs sur « cette conspiration américano-sioniste ».
Ce statu quo a cristallisé les positions, sans aucune avancée sur le programme nucléaire iranien. Entre-temps, l’Iran a su profiter des médiations turco-brésiliennes pour freiner les pressions occidentales à son égard. Téhéran a su profité des divisions internationales pour prolonger son expérience nucléaire. Si la diplomatie étasunienne apparaît en retrait, Israël tente de saboter l’avancée du programme nucléaire en menant une cyberattaque unique dans son genre. L’Unité 8200, une section de l’Aman, le service de renseignement militaire israélien, lance Stuxnet, un ver informatique qui touchera 45 000 ordinateurs dont 30 000 en Iran. Cette attaque devait paralyser le programme de recherche nucléaire iranien. Au moment de prendre sa retraite, le général israélien Gabi Ashkénazi avouera être le père du ver Stuxnet.
L’offensive informatique de l’armée israélienne a incontestablement ralenti le programme nucléaire, sans toutefois l’arrêter de façon significative. Mais preuve est faite de la volonté des autorités israéliennes d’interférer dans le processus en cours. Devant l’incertitude sur la stratégie à adopter face à l’Iran, la région doit faire face au « printemps arabe » qui bouleverse profondément son visage. Face aux soulèvements populaires, l’Occident espère intimement que la contagion gagne l’Iran. Mais, les révoltes restent arabes. Au contraire, le pouvoir iranien y voit un signe de « l’éveil islamique » de ces pays. Un éveil qui atteint son plus proche allié : le régime de Bachar el-Assad. Dans ce paysage géopolitique mouvant, les Palestiniens s’invitent à la table de la communauté internationale. Ces derniers jettent plus de trouble compliquant une lecture réfléchie de la conjoncture présente.
Le complot qui interroge
Alors que la communauté internationale s’agite auprès du cas palestinien afin de relancer le processus de paix, le département de Justice étasunienne annonce, mardi 11 octobre 2011, l’inculpation de deux ressortissants iraniens. Ces derniers sont accusés de conspiration à l’encontre de l’actuel ambassadeur saoudien, Adel al-Jubeir en place à Washington. Ils auraient mis en préparation un projet d’assassinat sur le territoire étasunien. Les renseignements étasuniens auraient déjoué, fin mai 2011, un complot visant l’Arabie saoudite. Ainsi, un indic de la DEA (Drug Enforcement Administration), dans le rôle d’un membre du cartel mexicain, Los Zetas, a été mis en contact avec Mansour Arbabsiar. Tout au long de leurs rencontres, ce dernier a exposé le projet. Celui-ci visait l’assassinat de l’ambassadeur saoudien ainsi qu’un double attentat à l’encontre des ambassades israélienne et saoudienne à Washington.
Au moment de son interpellation, Mansour Arbabsiar a avoué sa participation au complot et précise son mentor, en la personne de Gholam Shakuri. Il est un membre de la force spéciale Qods, unité des Pasdaran, qui prend directement ces ordres du Guide suprême, Ali Khamenei. Toujours en Iran, Gholam Shakuri est également poursuivi pour « conspiration en vue de tuer un responsable étranger ». Dans ce scénario digne d’un film hollywoodien, la Justice étasunienne affirme détenir des preuves du lien entre Mansour Arbabsiar et cette unité spéciale. En effet, l’argent versé par cet intermédiaire provenait directement d’un compte de la force spéciale. Selon cette hypothèse, les Iraniens entendaient utiliser les narcotrafiquants mexicains pour effectuer ces basses œuvres.
Eric Holder, ministre de la Justice précise que « les États-Unis s’engagent à tenir l’Iran responsable de ses actions ». Rapidement le ton est monté entre Washington et Téhéran. Hillary Clinton, secrétaire au Département d’État, entend accentuer la pression sur l’Iran, avec l’aide de ses alliés. Le régime iranien dénonce une tentative pour diviser le monde musulman et protéger Israël. Le Guide suprême a mis en garde : « les responsables américains (…) doivent savoir que toute action inappropriée – qu’elle soit politique ou sécuritaire – donnera lieu à une réponse ferme de la part du peuple iranien ». Côté saoudien, le pouvoir à Riyad semble préparer une réponse à l’encontre de Téhéran. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saoud el-Fayçal, a également averti que « l’Arabie saoudite apportera une riposte appropriée ». Les relations exécrables entre les deux nations musulmanes se sont véritablement dégradées depuis la révolte réprimée dans le sang à Bahreïn, en mars 2011 (cf. « Iran/Arabie saoudite : le bras de fer »).
La « bombe » de l’AIEA
Si les relations irano-saoudiennes sont au plus bas, l’Iran et le Pakistan semblent renouer et la promesse d’un gazoduc, reliant les deux pays, renforce ce nouveau développement. Ce rapprochement inquiète les États-Unis qui menacent le Pakistan de sanctions s’il conclue effectivement ce contrat gazier avec le régime iranien. Mais les besoins énergétiques pakistanais expriment l’urgence pour les autorités d’agir et de parer à toute crise. Par ailleurs, l’Iran aurait versé une aide de 100 millions de dollars pour soutenir les victimes des récentes inondations. Un geste de bonne volonté, mais aussi politique qui marque la stratégie de Téhéran de ce tourner plus favorablement vers Islamabad.
Ces changement régionaux laissent imperturbables les avancées nucléaires iraniennes. Le président français, Nicolas Sarkozy, a prévenu, dès septembre 2011, l’importance du dossier iranien avec la nécessité d’agir fermement contre Téhéran. Quant à la communauté internationale, elle s’était montrée particulièrement silencieuse sur la question ces derniers mois. Cependant, le prochain rapport de l’AIEA s’annonce décisif. Le 17 novembre prochain, le conseil des gouverneurs doivent se réunir à Vienne afin de présenter ce nouveau rapport. Celui-ci dénoncerait explicitement le caractère militaire du programme nucléaire en Iran ; une véritable « bombe » pour la communauté internationale. Jusqu’à la fin de l’année 2009, le directeur de l’AIEA, Mohamed ElBaradei, était accusé d’un certain laxisme à l’égard de l’Iran, voire d’une certaine complaisance. Depuis, l’AIEA a renouvelé ses équipes scientifiques, est devenu plus ferme et exigeante envers Téhéran. L’agence internationale est pressée car l’année 2012 arrive à très grand pas. Celle-ci, avec un calendrier électoral très conséquent (Russie, France, États-Unis), doit lancer un message pour l’ensemble de la communauté internationale.
Le Canada, par l’intermédiaire de son Premier ministre, Stephen Harper, est sorti du bois pour indiquer que « le régime de Téhéran représente vraisemblablement la plus grave menace pour la paix et la sécurité dans le monde ». Un message qui se calque sur le discours israélien. Tout comme l’AIEA, les autorités israéliennes ont conscience d’un calendrier très serré pour mener des pressions décisives à l’encontre des Iraniens. En 2009, Barack Obama aurait approuvé la livraison d’une cinquantaine bombes anti-bunker GBU-28 (Guided Bomb Unit 28) à Israël. Celle-ci serait perçue comme un accord tacite pour une éventuelle intervention aérienne de Tsahal contre les installations nucléaires iraniennes.
Mais pour le gouvernement de Benyamin Netanyahu, l’opportunité d’une intervention militaire se réduit chaque jour un peu plus. L’approche de la campagne électorale aux États-Unis accroît l’hypothèse d’une action israélienne. Pour les stratèges israéliens, la fenêtre de tir toucherait à sa fin dès 2012. Cependant, la communauté internationale entend adopter de nouvelles sanctions économiques et financières, dont le but, non avoué, serait l’effondrement du régime. De cette ambition, Israël pourrait y perdre sa patience. Une offensive israélienne aurait des conséquences incommensurables pour la région, et probablement, pour le monde.
Depuis plusieurs années, la question du programme nucléaire concentre les efforts des diplomates. Et durant tout ce temps, l’Iran n’a pas altéré d’un iota l’avancée de son projet, où l’arme atomique servirait de sanctuaire pour la République islamique. Au-dessus du Moyen-Orient, les nuages noirs s’amoncellent, l’orage n’est pas loin d’éclater, l’observateur, lui, regarde avec anxiété la fin de l’année 2011.
F.V.
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