La visite du président français en Arménie et Géorgie s’est montrée particulièrement agressive à l’égard de leurs deux puissants voisins russe et turc. Pourquoi ?
On se souvient du rôle actif de la France, alors à la tête de la présidence de l’UE, dans la résolution du conflit russo-géorgien. On se rappelle des multiples rencontres entre les autorités françaises et turques lors de ces précédentes années. Tout ceci a volé en éclat, en l’espace de deux jours. Mais les motifs de ce retournement diplomatique sont plus profonds et lient politiques intérieure et extérieure. Nicolas Sarkozy vient de s’adonner à une méthode empirique venant renverser la position française dans le Caucase. Une stratégie à haut risque qui pourrait isoler la France dans la région à moyen terme.
Turquie : le rappel à l’ordre
En débutant sa tournée caucasienne par Erevan, Nicolas Sarkozy, accompagné par une importante délégation, a voulu rendre hommage à l’amitié liant les peuples français et arménien. Là démarche du président français est tout sauf un hasard ; fragilisé dans les sondages pour la prochaine présidentielle, il souhaite optimiser le vote de la communauté arménienne, forte de 500.000 électeurs. Mais cette visite était-elle uniquement électorale à plus de 3.000 kilomètres de Paris ? Non, la France entend réaffirmer son engagement auprès de l’Arménie et de renforcer sa coopération notamment en matière économique.
Plus loin, Nicolas Sarkozy a renouvelé son appel à la Turquie pour que celle-ci reconnaisse le génocide arménien commit il y a près d’un siècle. Lors de son élection en 2007, il avait promis de faire voter définitivement la loi pénalisant la négation du génocide arménien. Quatre années plus tard, le projet de loi en passe d’être adopté au Sénat, en mai 2011, a été rejetée par l’Élysée. Le président français ne voulait pas froisser les relations avec la Turquie. Aujourd’hui, il vient de rétro-pédaler en rectifiant le tir auprès des Arméniens. Ainsi, il a invité la Turquie à « regarder son histoire en face » en menaçant les autorités d’Ankara d’adopter rapidement ce texte en cas d’absence de ce « geste de paix ».
Malheureusement, pour Nicolas Sarkozy, la ficelle est trop grosse pour ne pas y voir une stratégie électoraliste. Pire, en haussant le ton à l’égard du gouvernement de l’AKP, le président français prend le risque de mettre en péril une relation franco-russe, qui tangue déjà depuis plusieurs années. Ce repositionnement est quelque peu sidérant si l’on considère l’évolution de la politique étrangère de la Turquie depuis 2009. Recep Tayyip Erdoğan s’est lancé dans un offensif diplomatique tout azimut et assez imprévisible. Son positionnement à l’égard d’Israël, du printemps arabe ou de la question chypriote aurait du inciter le président française à être plus clairvoyant. « Le temps n’est pas infini : 1915-2011, il me semble que pour la réflexion, c’est suffisant ! » : en lançant cette phrase auprès d’une foule tout à sa cause, à Erevan, Nicolas Sarkozy prend le risque de réveiller la colère d’Ankara. Celle-ci ne s’est pas fait attendre. Le ministre turc aux Affaires européennes, Egemen Bagis, précise qu’ « il serait mieux, pour la sérénité en France […], que M. Sarkozy abandonne le rôle de l’historien ». Une façon diplomatique de renvoyer la balle dans le camp français. Les tensions étaient prévisibles ; et, apparemment, le président français avait déjà anticipé cette réaction en confiant, avant son arrivée en Arménie, qu’il avait fait son « deuil de bonnes relations avec la Turquie ». Des paroles qui ne sont pas vraiment rassurantes pour l’avenir des relations entre l’Europe et les autorités turques.
Géorgie : l’œil de Moscou et le porte-flingue de Washington
Après un détour rapide à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, afin de renforcer les relations commerciales entre les deux pays, le président français a fait étape à Tbilissi. La capitale géorgienne attendait avec impatience l’arrivée de l’homme qui avait conclu le cessez-le-feu en août 2008, suite à l’affrontement militaire entre Géorgiens et Russes. Le médiateur Nicolas s’est transformé en professeur Sarkozy, dans un rôle quelque surprenant. Devant une foule immense, il discourût sous les vivats de ses auditeurs sur la place de la Liberté. En réclamant « que cessent les menaces, les intimidations et les tentatives de déstabilisation qui sont proprement inacceptables », il ose s’attaquer de front à la politique russe dans la région.
Malgré l’amitié franco-russe, Nicolas Sarkozy a donné une leçon au Kremlin en soulignant que « contre toute logique stratégique, et à rebours des engagements pris, d’importantes forces militaires restent stationnées » à quelques encablures de la capitale géorgienne. Il a en outre réaffirmé « l’attachement de la France et de l’Europe à la souveraineté de la Géorgie, à l’indépendance de la Géorgie et à l’intégrité territoriale de la Géorgie ». Si l’on suit ce raisonnement, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie doivent retourner près des autorités de Tbilissi. Une ligne qui colle à celle de Washington.
Au même moment, le président russe, Dmitri Medvedev venait de signer la loi sur la ratification de l’accord sur la base militaire de la Fédération de Russie en Abkhazie. Par ailleurs, le même type d’accord a été signé concernant l’Ossétie du Sud. Ces lois stipulent que la durée de ce stationnement limité à 49 ans, avec la possibilité d’une prolongation automatique tous les 15. De facto, l’armée russe sera présente à l’intérieur des frontières géorgiennes, reconnues par le droit international, au plus tôt, jusqu’en 2060. L’irréductible président géorgien, Mikhaïl Saakachvili aura quitté le pouvoir depuis bien longtemps.
En précisant que « l’Union soviétique n’existait plus », le président français prend le risque de marcher sur les plates bandes de Vladimir Poutine. Plus tôt, ce dernier a indiqué dans une interview dans Izvestia qu’il désirait créer une union eurasienne. Les premières bases de ce projet ont déjà été posées avec l’union économique unissant la Russie, le Kazakhstan et le Belarus. La Géorgie, elle, continue de s’opposer à la politique du Kremlin. Et sa résistance se fait entendre au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Samedi 8 octobre, les négociations ont échoué, à Genève, entre les deux pays alors que la Suisse fait office de médiateur. La Russie et la Géorgie achoppent évidemment sur la question des provinces séparatistes. Et pour le vice-ministre géorgien des Affaires étrangères, Sergui Kapanadzé, il existe peu de chances de quelconque évolution favorable à l’adhésion de la Russie à l’OMC tant que celle-ci ne changera pas de fusil d’épaule.
En Géorgie, le président de la République française a rompu son rôle de médiateur, en prenant fait et cause pour la partie géorgienne. Moscou n’a pas officiellement réagi aux propos de Nicolas Sarkozy. Mais face à la Russie, ni la France, ni l’Union européenne n’ont les moyens de mettre à mal les ambitions géopolitiques du Kremlin. Malgré le bluff du président français en Libye, cette opération militaire ne peut pas décrypter à sa juste valeur la réalité politique et militaire du Vieux Continent : celle d’une finlandisation face à ces puissants voisins turc et russe. Avec cette question en suspens : quelle serait la réaction européenne si ce voisinage devenait plus hostile à son égard ?
F.V.
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