Édition spéciale – Présidentielle 2011
Jusqu’au bout de la nuit, une légère incertitude a régné sur le résultat final de cette élection très serrée. Ollanta Humala, candidat de gauche, aura finalement vaincu Keiko Fujimori, fille de l’ancien président. Alberto Fujimori, emprisonné, a pollué l’atmosphère de la campagne électorale. La lutte serrée entre les deux candidats a connu son dénouement final dans la matinée du 6 juin. La victoire d’Ollanta Humala ouvre une nouvelle page pour le Pérou. Avec une situation économique extrêmement difficile, la tâche du président élu s’annonce ardu.
Vaincu lors des élections 2006 face à Alan García, candidat du centre-gauche, Comandante Humala a eu sa revanche. Son élection est un virage politique et économique majeur pour la société péruvienne. Longtemps soutenu par Hugo Chavez, sa proximité lors de sa précédente campagne, lui a probablement coûté des voix. Ces dernières années, l’ancien militaire s’est employé à se démarquer de la gauche radicale qui est au pouvoir dans d’autres pays de la région. En modérant son discours, Ollanta Humala a pu attirer un électorat plus modéré moins en verve à entendre des invectives révolutionnaires. Lors de cette campagne, il s’est engagé à respecter l’indépendance de la banque centrale ainsi que les accords de libre-échange signés par le Pérou.
Prolongeant cette stratégie de dédiabolisation, le candidat de gauche arrondit les angles et a changé de style, s’affichant, le plus souvent, en costume-cravate. Un virage qui se rapproche volontairement de l’ancien président brésilien, Luis Inacio Lula de Silva. Ollanta Humala s’est inspiré de l’ex-chef d’État brésilien afin d’élargir son électorat. Cette nouvelle image vise à modifier l’opinion sur un personnage longtemps jugé trop radical aux accents nationalistes. Là, ses promesses électorales laissent l’accueil des investissements étrangers.
L’arrivée du patriotisme de gauche
Toutefois, le nouveau président reste déterminé à réguler des activités stratégiques comme l’exploitation minière et pétrolière. Une question qui a enflammé le débat entre les deux candidats, Keiko Fujimori y décelant une orientation chaviste chez son adversaire. La candidate de Fuerza 2011 estime que le programme de gouvernement est beaucoup plus radical que les discours adoucis tout au long de cette campagne. Même si la jeune candidate a grossi les traits de son adversaire, des interrogations demeurent sur la réalité gouvernementale du futur président.
Issu d’une famille connue pour son engagement très à gauche, Ollanta Humala s’est illustré, au début des années 1990, pour son engagement militaire en luttant contre le Sentier Lumineux. Une période qui s’est illustré par un épisode noir, dont les soupçons planent toujours sur cet ancien capitaine. En 1992, dans la zone de Madre mía, des exactions contre la population sont commises, il fut accusé. Cependant faut de preuves, Ollanta Humala est acquitté. Mais cette affaire refait surface, lorsqu’un câble Wikileaks est publié le 26 mai 2011. Une zone d’ombre qui plane toujours au-dessus du capitaine « Carlos » Humala.
La figure du père joue un rôle important dans l’appréhension du personnage. Isaac Humala, un des leaders du mouvement ethnique, entendait rétablir la fierté des Incas. Une identité que l’on retrouve au sein des meetings d’Ollanta Humala. La figure de proue de ce mouvement identitaire : Túpac Amaru. Il fut le dernier inca quechua de la dynastie Manco Inca. Malgré sa jeunesse et son inexpérience, il fut un ennemi implacable des Conquistadores. Face à cet esprit rebelle, les Espagnols décidèrent sa capture. Il fut condamné à mort et exécuté le 24 septembre 1572. S’ensuivit par la suite une véritable épuration avec l’exécution de ses plus proches et de l’extermination de sa postérité jusqu’au quatrième degré. Le mouvement ‘Comando Túpac Amaru’ soutient Gana Perú, le parti d’Ollanta Humala. Le parti nationaliste péruvien joue sur cette fibre identitaire à l’image des présidents vénézuélien et bolivien.
Même s’il apparaît s’être détaché des oripeaux révolutionnaires, un câble Wikileaks révèle les liens qui se poursuivent entre le Venezuela d’Hugo Chavez et le parti nationaliste péruvien. Suite à une révélation du quotidien péruvien Correo, le PNP entretiendrait des liens financiers avec le Venezuela. L’ambassade étasunienne, sur place à Lima, aurait mené sa propre investigation et découvert des liens indirects entre l’épouse d’Ollanta Humala, Nadine Heredia, et le Venezuela, par l’intermédiaire d’une ONG, dénommé Prodin. Dans ce circuit de financement interviendrait également un think tank espagnol, la Fundación CEPS. Même si les diplomates étasuniens y perçoivent une manipulation du gouvernement d’Alan Garcia.
Malgré ces doutes et ces incertitudes qui planent, les Péruviens ont décidé à une courte majorité de faire confiance à cet ancien militaire. A l’occasion de sa victoire, Ollanta Humala délivre son premier discours en promettant le retour de la croissance économique, la réduction des inégalités sociales et la lutte contre la corruption :
Cicatriser les blessures…
Son discours indique la nécessité de réunir l’ensemble des Péruviens autour du projet Humala. En effet, durant cette longue campagne électorale, le Pérou s’est littéralement fendu en deux. Comme l’illustre les résultats finaux, les Péruviens se sont retranchés dans leur propre camp : les pro-Keiko et les pro-Ollanta avec une détestation affichée pour leur adversaire respectif.
Les élections se sont déroulées en bon ordre. Le chef de la Mission d’Observation Électorale de l’Union européenne (MOE-UE), José Ignacio Salafranca, estime que le déroulement du second tour s’est réalisé « dans une totale normalité, transparence et avec bon ordre ». Ce satisfecit européen dévoile une certaine maturité de la société péruvienne, où le système démocratique semble s’enraciner. Le prix de Nobel de littérature 2010, Mario Vargas Llosa, estime que « l’électorat péruvien a agi avec une grande responsabilité ». Il estime que ce résultat correspond à un vote « en faveur de la démocratie et contre la dictature ». Opposé à la famille Fujimori, l’écrivain soutient pleinement la victoire d’Ollanta Humala.
Le pays s’est profondément divisé à l’occasion de cette présidentielle. Mario Vargas Llosa estime que le nouveau président « doit cicatriser les blessures, réconcilier la famille péruvienne ». Pour éviter le risque qu’une grande partie ressente un abandon, le nouveau président doit absolument lancer des initiatives capables de réunir l’ensemble de la population. La popularité de Keiko Fujimori illustre ce clivage au sein de la société. Malgré les années noires du pouvoir autoritaire d’Alberto Fujimori, pour de nombreux Péruviens, cette période représente un âge d’or perdu, celle d’une économie relativement florissante.
En plus de la répression entreprise par le gouvernement Fujimori, la corruption s’est également installée et gangrène, toujours, le pays. Une situation que la majorité des Péruviens veut profondément changer. L’élection d’Ollanta Humala indique les inspirations nouvelles d’une population où près d’un tiers vive en dessous du seuil de pauvreté. Une réalité socio-économique qui impose au leader de Gana Perú d’agir rapidement tout en conservant un consensus national dans on action politique.
Si Keiko Fujimori a reconnu sa défaite, les milieux économiques n’ont pas tardé à réagir fermement face à ces résultats électoraux. Ce lundi, la Bourse de Lima a connu sa plus grande chute de son histoire (-12,51%) et clôturé de manière anticipée. Ollanta Humala devra déployer beaucoup plus que de simples chansons pour rassembler le Pérou autour de lui.
Roy Obregón – Estado Envejecido
F.V.
Votre commentaire