Les relations entre le Guide suprême de la République islamique, Ali Khamenei, et le président Mahmoud Ahmadi-Nejad tournent à la confrontation. Pourquoi ?
Rien ne va plus à Téhéran. Alors que la région n’a jamais été aussi instable, le pouvoir iranien est confronté à une profonde ligne de fracture au sommet de l’État. Tout à débuter au mois d’avril lorsque le président iranien a démissionné son ministre du Renseignement, Heidar Moslehi. Ce religieux, proche de l’ayatollah Khamenei, était accusé d’espionnage à l’encontre du directeur de cabinet de la présidence, Esfandiar Rahim Mashaie.
Immédiatement repris de volée par le Guide suprême, Mahmoud Ahmadi-Nejad se voit intimer l’ordre de restituer les fonctions gouvernementales à Heidar Moslehi. Le bras de fer est engagé. Le président iranien défie ouvertement la plus haute autorité de la République islamique. Scène hallucinante de la vie politique iranienne, le président iranien s’enferma pendant une dizaine de jour. Emmuré et muet, l’ultraconservateur disparaît de la vie publique. Un vide politique s’est créé durant cet instantané. Finalement, Mahmoud Ahmadi-Nejad se plie à l’autorité et renouvelle, officiellement, son allégeance au Guide suprême, figure incontestable.
Malgré, la fin du hors-piste du président iranien, les secousses internes se poursuivent. Les partisans de l’ayatollah Khamenei se lancent à l’assaut du cercle de M. Ahmadi-Nejad. L’ancien négociateur du programme nucléaire, Ali Larijani, monte au créneau en dénonçant l’attitude « arrogante » de l’actuel président. Les journaux proches de l’ayatollah Khamenei se sont déchaînés à l’encontre de la présidence. Les Gardiens de la Révolution, toujours fidèle au Guide suprême, exigent la fin de cette crise et demande au président de ne pas lui contester son autorité. En outre, ils mettent en garde le gouvernement actuel de renouveler toute tentative de défiance contre la figure suprême du régime.
Zélés, les alliés d’Ali Khamenei ciblent la garde prétorienne du président iranien. Ils sont passés à l’offensive en mettant à l’arrêt une vingtaine de personnalités, dont l’imam de la prière de la présidence, Abbas Amirifar. Ceux-ci sont accusés de sorcellerie, de communiquer avec les djinns* et les démons ou encore de « connections avec des mondes inconnus ». Faute de trouver des raisons tangibles pour mener ces arrestations arbitraires, les ultras du régime mènent une chasse aux sorciers. D’un autre temps, tous les stratagèmes sont bons pour défendre Ali Khamenei.
Esfandiar R. Mashaie : L’éminence grise
Mais un homme est ostentatoirement dans le viseur des proches du Guide suprême : Esfandiar Rahim Mashaie. Le directeur de cabinet de la présidence représenterait une menace pour la stabilité de la théocratie iranienne. Soupçonné de sédition, le protégé du président iranien embrasserait l’idée d’un renversement de la théocratie iranienne pour un système plus « libéral ». Véritable maître à penser pour Mahmoud Ahmadi-Nejad, Esfandiar R. Mashaie est la véritable cible de cette entreprise à l’encontre de l’entourage présidentiel.
Cette figure énigmatique du pouvoir iranien influence le président iranien dans sa vision du monde. Persuadé du retour imminent de l’imam caché, le Mahdi, E.R. Mashaie aurait convaincu M. Ahmadi-Nejad de préparer son retour, de baser son programme gouvernemental sur cette donnée fondamentale. Il serait également convaincu que le clergé iranien s’opposerait à la mise en place d’un pouvoir capable d’accueillir le « douzième imam ». Favorable à une vision nationaliste de l’Iran, évoquant la période pré-islamique, E.R. Mashaie s’est immédiatement attiré les foudres du clergé chiite.
Personnage iconoclaste, il est convaincu d’être le relai et le messager pour l’arrivée de l’imam mystique, l’obscur conseiller de M. Ahmadi-Nejad aurait des prétentions politiques plus grandes. Des rumeurs mettent en lumière sa volonté de succéder à l’actuel président lors des prochaines élections en 2013. Dans ce jeu en eaux troubles, il est difficile d’y voir véritablement clair. Cependant, le camp conservateur apparaît clairement divisé entre la branche religieuse, proche de l’ayatollah Khamenei, et une branche plus laïque, emmené par le cercle du président iranien. Ce dernier ambitionnerait de présenter ses propres candidats lors des prochaines élections parlementaires, d’où l’intérêt de contrôler un ministère stratégique comme celui du Renseignement. En outre, le pouvoir de nuisance du président iranien semble réel, sa volonté de restructurer le gouvernement en réduisant le nombre de ministère au sein du gouvernement.
La mise au pas de l’opposition emmené par Mir Hossein Moussavi et Medhi Karoubi, permet au Guide suprême, dans un calcul serré, de frapper une autre tête de l’exécutif, comme pour servir d’exutoire à une population, littéralement privée de sa propre libération. Mais ni Ahmadi-Nejad, ni Khamenei ne peuvent s’offrir le luxe d’une grande division dans leur propre camp, car elle offrirait une brèche tant au sein du clergé que du côté de l’opposition politique. Pour les chancelleries occidentales, l’opacité du régime rend difficile toute compréhension des enjeux qui se trament. Dans cette équation complexe, une nouvelle inconnue émerge : quelle sera la réaction des responsables des Gardiens de la Révolution si cette lutte interne s’éternisait ?
F.V.
*Djinn (ou Jinn) : Les djinns sont des créatures surnaturelles issues de croyances de tradition sémitique. Ils sont en général invisibles et, selon l’Islam, ils n’auraient de pouvoirs sur l’être humain que le murmure.
[…] les développements idéologiques du président iranien. Après la crise du printemps 2011 (voir “Théâtre d’ombres à Téhéran”), les proches d’Ahmadi-Nejad ont été progressivement marginalisés au sein de l’appareil […]