Alors que le monde universitaire français s’oublie dans ses convulsions, Dimitri Medvedev vient d’avaliser une réforme profonde du paysage universitaire russe.

Le président Medvedev impulse une profonde mutation de l'Université en Russie
Dans un monde très concurrentiel, la recherche universitaire ne peut échapper à cette logique de compétition. Aujourd’hui, la Russie vit sur les vestiges d’une communauté scientifique prestigieuse tous issus de l’URSS. L’Union Soviétique n’est désormais plus qu’un lointain souvenir. Aujourd’hui, le monde universitaire russe rencontre de nombreux déficits chroniques. Evoluant, pour des raisons professionnelles, au cœur de ce système, les plaintes et les défaillances sur le système éducatif français paraissent bien pâles face à celles que subit silencieusement la Russie.
L’univers de l’enseignement supérieur en Russie est à l’image de l’évolution du pays dans son ensemble : paupérisation, fuite des meilleurs talents, décrépitude, corruption rampante… Malgré ces fléaux, des éléments de clairvoyance arrivent toujours à conserver une force (N.B. : que l’on peut voir, à bien des égards, dans d’autres pans de la société), peut-être mystique. Celle-ci permet, dans ce cas précis, de maintenir la recherche russe à un certain niveau de notoriété notamment dans les sciences dures.
Pour la Russie, concurrencer les universités européennes ou américaines ne constitue plus qu’un rêve évanoui. Désormais, les universités de ce pays sont en rivalité directe avec les universités en constante progression en Chine ou en Inde. Les étudiants occidentaux sont plutôt denrées rares. Les jeunes européens, avec le programme Erasmus, ont délaissé une Russie qui avait ouvert ses portes durant les années 1990. Quelques étudiants osent franchir le pas, mais, la plupart du temps, l’intérêt est avant tout linguistique. L’université russe n’attire pas les étrangers pour ses aspects innovants et dynamiques.
La majorité des étudiants étrangers proviennent d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. La Russie vit encore sur l’héritage de l’époque soviétique. Mais pour diverses raisons, ce chiffre s’effrite davantage d’une année sur l’autre. De ce temps prestigieux ne reste que les photos dépoussiérées et les montagnes d’archives, à présent, les universités vivent une course contre la montre, celle de leur survie.
La poursuite d’une réforme
Pour le pouvoir russe, la question de la recherche est aussi vitale que la démographie déclinante. Le potentiel scientifique russe n’a cessé de se détériorer depuis près de vingt ans. Le président Medvedev avait fait de l’éducation une de ses priorités lors de sa campagne électorale en mars 2008. La réforme du système universitaire est depuis longtemps dans les cartons du Kremlin. Par ailleurs, les premiers jets de cette transformation ont eu lieu dès 2006. En effet, les villes de Rostov (district fédéral de la région Sud) et Krasnoïarsk (district fédéral de Sibérie) ont constitué l’avant-garde de l’actuelle réforme.
A l’heure actuelle, la Russie compte 1500 établissements d’études supérieures et 2000 filiales. 856 000 personnes travaillent au total au sein d’un des ces établissements. Pour le pouvoir fédéral, ce chiffre est trop élevé. Pour une meilleure efficacité, il est nécessaire de concentrer de nombreux centres universitaires au sein d’un même pôle. Le but de ce regroupement est de rendre plus compétitive les universités russes. Ce mouvement doit s’achever d’ici 2020. C’est-à-dire que les dix prochaines années seront consacrées à la modernisation universitaire à travers ce plan élaborés par les haut-fonctionnaires. Loin des grandes concertations qui peuvent se dérouler en France, la réforme universitaire a été imposée depuis le Kremlin.
Le projet des sept universités fédérales a pour objectif in fine de donner une meilleure visibilité sur le plan international. Cette nouvelle concentration est aussi une garantie d’une meilleure redistribution de l’aide financière aux universités d’Etat. Dans l’oukase, daté du 21 octobre 2009, Dimitri A. Medvedev désigne cinq villes clés pour endosser une grande partie de la réforme. En plus de Rostov et Krasnoïarsk, Arkhangelsk, Kazan, Ekaterinbourg, Iakoutsk et Vladivostok rejoignent le wagon du futur visage de la recherche scientifique russe.
Un découpage très politique
Ce simple découpage n’a rien d’anodin, puisque celui-ci suit scrupuleusement un autre découpage, plus politique. Rien d’étonnant que dans le choix de la réforme, le Kremlin est choisi le nombre sept, nombre des futures universités fédérales. Sept étant le chiffre des districts fédéraux, créés dès le printemps 2000 par Vladimir Poutine.

Division du territoire russe en sept districts fédéraux
Le remodelage universitaire suit le tissu des sept districts fédéraux, à une exception, le pouvoir russe a choisi de créer deux centres universitaires sur son district de l’Extrême-Orient (Iakoutsk et Vladivostok). Pour la Russie, cette région est la plus sensible (recoupant de nombreux enjeux stratégiques) dans l’optique des prochaines décennies. Après avoir créé une cohérence politique, Moscou veut y ajouter l’aspect éducatif et scientifique. Dans l’optique d’une plus grande décentralisation ? C’est la grande question que les universitaires se posent en regardant l’avenir de cet immense pays qui se dépeuple inexorablement.
Autre élément important, c’est le rapprochement stratégique de facto accordé aux deux centres vitaux que sont Moscou et St-Pétersbourg. Les deux grandes universités, le MGU (Université d’Etat de Moscou) et le SPBGU (Université d’Etat de St-Pétersbourg), seront amenées à se rapprocher fatalement. L’union de ces deux pôles universitaires renforceront la main mise politique, économique et scientifique du pouvoir qui dirige à l’heure actuelle le pays. L’axe Moscou-St-Pétersbourg est l’assurance d’un maintien d’une élite de grande qualité capable de se renouveler. Malgré la situation de la recherche en Russie, le MGU conserve une certaine réputation au niveau international (70ème au classement de Shanghaï 2008).
De nombreuses incertitudes…
Parmi les réactions, celles des premiers concernés à savoir: professeurs et étudiants. Ceux-ci ont évidemment conscience de la situation dégradée des établissements d’études supérieures. Les réformes sont nécessaires. Sur le principe, personne n’est contre. Cependant quelques interrogations demeurent. Moscou promet que la création de ces cinq universités fédérales permettra un soutien financier gouvernemental plus réactif. L’expérience de l’Université Fédérale de Sibérie (Krasnoïarsk) paraît montrer des résultats plutôt positifs.
En revanche, personne ne doute que ce remodelage aura des conséquences en terme d’effectifs : d’un côté, le personnel universitaire risque d’être réduit, d’un autre, les effectifs estudiantins se concentreront dans une sorte de méga-université. Le cas de l’UrFU (Université Fédérale de l’Oural – Ekaterinbourg) est symptomatique de ce changement. Ainsi, dès 2012, cette « nouvelle » université accueillera 52.000 étudiants pour atteindre, en 2020, un effectif de 65.000.
Si la réforme est effective dès l’annonce du décret présidentiel, sa mise en place risque de prendre du temps. A Ekaterinbourg, les réactions apparaissent quelque peu perspicaces. Le personnel universitaire ont conscience que ce « MegaVUZ » (littéralement : méga-école supérieure) ne pourra jamais concurrencer ne serait-ce Cambridge, Oxford ou la Sorbonne. Une certaine fatalité règne dans le corps professoral et scientifique des universités. L’avancée de la réforme dépendra de l’apport financier fédéral promis par Moscou. Cependant l’absence d’un agenda précis, les interrogations sur le mécanisme des investissements… laissent augurer un travail herculéen pour une administration universitaire très bureaucratisée.
Mais, ce qui fait unanimité contre cette réforme, c’est le changement de nom. A Kazan, les étudiants, les professeurs, le KPRF (parti communiste) protestent contre le changement de nom de l’université. Aujourd’hui, le KGU (Université d’Etat de Kazan) est une institution. Cette prestigieuse université a connu son apogée au XIXème siècle avec son célèbre mathématicien Lobatchevski, une renommée qui s’est prolongé du temps de l’URSS. Dans sa jeunesse, Lénine a fréquenté les bancs de cette université pendant un temps. Personne ne veut voir cette université, avec une longue histoire, disparaître d’un trait de plume. Le PFU (Université Fédérale de la Volga), nouvelle dénomination, n’accueille aucun réel soutien. La réunion de plusieurs établissements supérieurs, aujourd’hui chacun respectivement indépendant, sera loin d’être aisée. Mais, avec un certain fatalisme, les universitaires savent la réforme indispensable car pour les universités russes le choix est plutôt simple : se transformer ou mourir.
F.V.
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